
END Agency : la vision stratégique et sensible du design selon François Savard
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Fondateur du studio END Agency, François Savard appartient à cette génération de créatifs capables d’allier rigueur technique et sensibilité stratégique. Après un parcours en informatique, puis une expérience décisive en Norvège, il développe une approche globale du design : claire, utile et profondément humaine. Rencontre.
Vous étiez destiné au développement. Qu’est-ce qui vous a fait basculer vers le design, et qu’est-ce que cette double compétence vous apporte aujourd’hui ?
F.S : J’ai toujours aimé le côté logique du développement, mais je trouvais ça trop enfermé. Le design, c’est la même logique, mais appliquée à l’humain. Quand t’as les deux, tu comprends comment une idée passe du concept à la réalité sans perdre sa cohérence.
Au cours de mon année de Licence d’informatique, j’ai remarqué le peu d’intérêt porté aux interfaces et au design lors des projets. Je me suis dit que quelqu’un devait prendre la main là-dessus, et que ce quelqu’un, c’était moi.
J’ai toujours vu la valeur dans un design bien exécuté, beau et intuitif : c’est cela qui donne satisfaction aux utilisateurs d’interagir avec un produit. Et cette logique s’applique autant au monde de la tech qu’à d’autres industries.
Cette double compétence design/développement me permet d’avoir un pied dans la technique et l’autre dans la stratégie. C’est très utile quand tu bosses avec des boîtes tech, parce que tu comprends autant les devs que les dirigeants et tu peux fournir une solution plus rapide à réaliser, en ayant déjà intégré les limites techniques.
Votre passage chez Journey à Oslo a été décisif. En quoi cette immersion à l’international a-t-elle façonné votre vision du design et de l’entrepreneuriat ? Qu’est-ce qui diffère entre la France et la Norvège ?
F.S: En Norvège, tout semble aller droit au but. Les gens sont directs, réfléchissent avec méthode et ne font jamais les choses au hasard. Leur objectif, c’est d’être efficaces et de construire quelque chose de durable, que ce soit un produit, une entreprise ou une simple maison.
En France, on cherche souvent la solution rapide, parfois la moins chère, puis on se rend compte plus tard qu’il aurait mieux valu faire les choses correctement dès le départ.
Là-bas, j’ai appris à aller vite, à livrer souvent, et surtout à ne pas faire un drame dès qu’une erreur survient. Les erreurs, ils les voient comme une étape normale du processus, pas comme une catastrophe. Cette approche m’a marqué, parce qu’elle valorise l’action avant la perfection.
C’est aussi en Norvège que j’ai compris que le design n’est pas juste une question d’esthétique, mais un outil business à part entière. En France, on a tendance à le suranalyser ou à le considérer comme un “bonus” qu’on intégrera plus tard. Là-bas, c’est l’inverse : le design est au centre. On l’utilise pour résoudre de vrais problèmes, améliorer des expériences, créer de la confiance.
Les Norvégiens savent que dans un produit digital, l’interface est le produit. Si elle est mal pensée, tout le reste s’effondre. Cette philosophie s’étend à leur culture : une architecture minimaliste mais fonctionnelle, des objets faits pour durer, une rigueur humble. Ce n’est pas du perfectionnisme, c’est du respect pour le travail bien fait. Une mentalité dont on gagnerait à s’inspirer.
Votre studio signe déjà pour des fintechs, des marques de mode ou des acteurs du luxe. Qu’est-ce qui distingue END Agency des autres agences de design digital ?
F.S: Je dirais que ce qui distingue END Agency, c’est avant tout la vision. Ce n’est pas du “joli design” pour faire joli. C’est du design pensé comme un produit, avec une vraie logique de fond.
Je m’inspire beaucoup de la culture nordique : chaque choix doit avoir une raison, une utilité, et s’inscrire dans une vision long terme. Je ne crée pas des sites pour remplir un portfolio, je les construis pour servir une stratégie, une ambition.
Beaucoup de freelances livrent un projet et passent au suivant. Moi, je préfère anticiper la suite. J’essaie de comprendre où le client veut aller dans un an, dans deux ans, pour que tout ce qu’on pose aujourd’hui serve encore demain.
C’est un peu comme les Norvégiens qui se préparent à l’hiver : ils coupent leur bois avant qu’il fasse froid, et toujours un peu plus, “au cas où”. Moi, je fais pareil avec mes clients. On coupe du bois ensemble pour passer l’hiver, mais on prévoit déjà la réserve pour le printemps.
Je travaille surtout avec des startups dans des secteurs où tout reste à bâtir : la fintech, le Web3, des domaines où la rapidité et la clarté sont vitales. Avant de designer quoi que ce soit, je les aide à clarifier leur message, leur ton, leur structure. Ensuite seulement, on passe à la création.
Cette approche artisanale mais rigoureuse rend END Agency à la fois flexible et solide : une mécanique bien huilée, pensée pour durer.
L’intelligence artificielle : menace ou levier ? Vous intervenez en conférence sur l’I.A. et le “vibe coding” : comment ces technologies transforment-elles le métier de designer ?
F.S: L’intelligence artificielle ne tue pas la créativité, elle la déplace.
Elle fait disparaître la partie répétitive du métier, la production, la mise en forme, la rédaction basique, pour laisser plus de place à ce qui compte vraiment : l’idée, la vision, le message.
Le designer d’aujourd’hui devient un chef d’orchestre. Il doit savoir guider l’IA, cadrer ses usages, lui donner une intention. C’est ce que j’appelle le vibe coding : apprendre à parler le langage de la machine pour qu’elle comprenne ton univers, ton ton, ton style visuel.
Je comprends les craintes, surtout en France, où on a tendance à opposer technologie et humanité. Mais l’IA ne remplace pas le goût, ni la sensibilité. Elle accélère simplement la réalisation. C’est comme passer du pinceau à la tablette graphique : l’outil change, pas l’intention artistique. Ceux qui l’embrassent tôt seront plus libres, pas plus dépendants.
Vous multipliez les conférences. Pourquoi cette envie de transmission ?
F.S: C’est aussi pour ça que je multiplie les conférences : pour ouvrir le dialogue. L’IA ne doit pas être un tabou pour les créatifs. En parler, c’est déjà se l’approprier.
Quand je partage mes expériences, je ne fais pas la leçon — je montre juste que tout le monde peut s’en servir intelligemment, sans perdre sa patte. Et à chaque échange, j’apprends autant que je transmets.
Ces discussions influencent ma façon de travailler. Elles me forcent à rester curieux, à tester, à remettre en question mes process.
L’IA, ce n’est pas un gadget ou une menace, c’est un miroir : elle révèle ce qu’on fait par habitude et pousse à redevenir créatif. C’est ce que j’essaie de transmettre quand je parle de design aujourd’hui.
Où voyez-vous END Agency dans cinq ans, et quel conseil donneriez-vous à un jeune designer ?
F.S: END Agency, je la vois comme un studio reconnu pour sa vision, pas pour sa taille.
Je ne sais pas où je serai dans cinq ans, ni si je ferai toujours le même métier.
Ça fait déjà dix ans que je design, et j’ai fait le tour. Il y a beaucoup de jeunes designers incroyablement talentueux qui arrivent.
Je me vois davantage comme un partenaire business, un conseiller que les entreprises appellent pour structurer leurs projets. Mon objectif, c’est de garder une équipe courte, mobile, concentrée sur des projets qui comptent. Pas de devenir une usine à slides.
Et pour les jeunes designers ? Je dirais : ne suivez pas les tendances, apprenez à penser. Les outils changent tous les ans, mais la logique du design reste la même.
Travaillez votre goût : c’est ce que les IA ne vous prendront jamais.




