
Chocolat : secrets, défis éthiques et innovations vertes
13 novembre 2025À Châtellerault, une entreprise familiale fabrique encore ce que la France a presque cessé de produire : des toiles de criblage en acier. Portrait d’un survivant devenu référence européenne.
Dans l’atelier de 15 000 m², le ballet des machines résonne depuis un siècle. Ici, on tisse du fil d’acier haute résistance pour fabriquer des toiles de criblage, ces grilles géantes qui trient les cailloux dans les carrières, filtrent les minerais dans les mines, séparent les granulats sur les chantiers. Un métier discret, technique, loin des projecteurs. Et pourtant essentiel : sans criblage, pas de routes, pas de béton, pas de construction.
Giron est l’un des derniers à maîtriser ce savoir-faire en France. Fondée en 1924 par Henri Giron, l’entreprise a traversé quatre générations, deux guerres mondiales, la désindustrialisation des années 80-90, et la concurrence chinoise. Elle est toujours là, ancrée à Châtellerault, ville marquée par son passé ouvrier et dirigée aujourd’hui par Nicolas Charrière, arrière-petit-fils du fondateur.
« On aurait pu disparaître dix fois, reconnaît-il. Mais on a toujours misé sur l’innovation et la qualité plutôt que sur le volume. »
1932 : le tournant qui a tout changé
Au départ, Giron fabrique des grillages et des clôtures. Puis, en 1932, Henri Giron prend une décision qui va tout changer : se lancer dans la production de toiles de criblage en fil d’acier haute résistance, jusque-là importées d’Allemagne. Un pari audacieux en pleine crise économique.
Le choix s’avère visionnaire. La demande explose avec la reconstruction d’après-guerre et l’essor du BTP. Giron se spécialise, investit dans des machines sur-mesure, forme ses ouvriers à des gestes précis. En 1962, l’entreprise s’installe sur son site actuel de Châtellerault, dans une région où l’industrie métallurgique a longtemps fait vivre des milliers de familles.
Mais c’est dans les années 50 que Giron invente ONDAP, une toile anticolmatante issue de recherches menées pendant la Seconde Guerre mondiale. Le principe ? Créer des ouvertures en forme de losange pour éviter que les matériaux humides ne bouchent les mailles. Une innovation encore utilisée aujourd’hui dans de nombreuses applications.
« Cette toile a été notre survie pendant des décennies, explique Nicolas Charrière. Elle nous a permis de nous différencier face aux produits importés. »
Le polyuréthane contre l’acier : un match impossible à départager

Dans les années 90, nouveau virage stratégique. Giron crée Giréthane, une filiale dédiée aux toiles en polyuréthane. Un matériau révolutionnaire : 10 à 15 fois plus durable que l’acier, flexible, résistant à l’abrasion.
Pourtant, l’acier n’a pas dit son dernier mot. « Le polyuréthane dure plus longtemps, c’est vrai, mais l’acier reste imbattable en perméabilité et en précision de coupure, nuance le dirigeant. Selon les applications, l’un ou l’autre s’impose naturellement. »
Résultat : Giron propose aujourd’hui l’une des gammes les plus complètes du marché européen. Carrières de granulats, mines d’or en Guyane, centres de recyclage, usines agroalimentaires… Chaque secteur a ses contraintes, chaque client ses spécificités. Les équipes terrain analysent les installations, mesurent les flux, calculent le coût à la tonne criblée et recommandent la toile la plus adaptée.
« On ne vend pas un produit standard. On vend une solution sur-mesure. »
Des machines conçues en interne, des gestes transmis de génération en génération

Chez Giron, pas question d’acheter des machines clés en main. L’entreprise conçoit ses propres outils industriels, dimensionnés pour ses métiers. « Les machines sont les bras de nos ouvriers », résume le dirigeant.
Sur les lignes de production, des opérateurs spécialisés surveillent chaque étape : préformage du fil, tissage, soudure, contrôle qualité. Certains travaillent ici depuis 30 ans. Ils connaissent le comportement de l’acier au millimètre près, repèrent un défaut à l’œil nu, ajustent les réglages selon la nature du fil.
Ce savoir-faire hybride, mi-artisanal, mi-industriel a valu à Giron le label “Entreprise du Patrimoine Vivant” (EPV), distinction rare décernée par l’État aux entreprises françaises dotées d’une expertise d’excellence.
Aujourd’hui, 140 collaborateurs produisent plus de 70 000 toiles par an, livrées en France, en Europe de l’Ouest et en Europe de l’Est via trois sites en Roumanie. Le chiffre d’affaires avoisine les 15 millions d’euros.
Surface plane : l’innovation signature qui change la donne

Dans le criblage, la durée de vie d’une toile dépend de trois facteurs : la résistance du fil, le type de préformage (la façon dont on ondule le fil), et la régularité des mailles.
Giron a développé trois niveaux de préformage :
1. Ondulation simple (Grilgirco)
Adaptée aux petites mailles, mais sensible aux chocs.
2. Demi-encoche (Plangirco)
Ondulation plus marquée aux croisements, meilleure tenue à l’abrasion.
3. Surface plane (Plangirco surface plane)
L’innovation maison. Une surface quasi sans relief, une usure uniforme, une longévité supérieure de 30 à 50 % par rapport à un préformage classique.
« Ce préformage surface plane, on l’utilise en standard à partir de la maille de 8 mm, précise Nicolas Charrière. C’est notre différenciation technique face aux concurrents étrangers. »
Criblage et granulats : un enjeu économique et normatif

Les granulats, ces petits cailloux de 0 à 125 mm sont partout : dans les routes, les bétons, les ouvrages d’art. Ils peuvent provenir de carrières de roches massives, de rivières, de déchets recyclés ou de fonds marins.
Le criblage permet de les classer par tailles (classe d/D) pour répondre aux normes de mise en œuvre. Une toile mal dimensionnée, c’est un process ralenti, des rebuts, parfois des non-conformités coûteuses.
« On intervient en amont, explique le dirigeant. On dimensionne la toile en fonction du débit, de la granulométrie souhaitée, de l’humidité du matériau. L’objectif : optimiser le coût à la tonne tout en respectant les spécifications techniques. »
Un conseil technique qui fait la différence face aux fournisseurs low-cost.
RSE : au-delà des labels, des actions concrètes
Depuis quelques années, Giron structure une démarche RSE globale, évaluée par la plateforme internationale EcoVadis. L’entreprise a également intégré le programme ETIncelles, initiative de l’État pour accompagner 500 PME de croissance vers le statut d’ETI d’ici 2027.
Mais au-delà des labels, ce sont surtout les actions concrètes qui parlent :
- Panneaux solaires pour produire une partie de l’électricité renouvelable consommée
- Upcycling des chutes de toiles avec l’artiste David Vaucelle
- Collaboration avec Deastance Services, entreprise adaptée, pour la rédaction de contenus
- Parrainage d’événements locaux : Jazzellerault, marchés de producteurs…
- Installation de ruches sur le site et plantation d’arbustes pour favoriser la biodiversité
- Création d’équipes sportives internes
« On ne peut pas prétendre être une entreprise responsable sans agir localement, insiste Nicolas Charrière. Notre ancrage à Châtellerault, ce n’est pas qu’une question de coûts : c’est une question d’identité. »
Châtellerault, entre mémoire ouvrière et réinvention
Difficile de parler de Giron sans évoquer Châtellerault. Cette ville du nord de la Vienne a longtemps vécu au rythme de ses usines : la Manufacture d’armes (fermée en 1968), le textile, la métallurgie. La désindustrialisation a frappé fort dans les années 80-90. Des milliers d’emplois perdus, des quartiers fragilisés, une identité à reconstruire.
Aujourd’hui, Châtellerault se réinvente : diversification économique, mise en valeur du patrimoine industriel, développement culturel et sportif. Giron s’inscrit pleinement dans cette histoire : une entreprise qui a su rester, résister, se transformer.
« On aurait pu délocaliser, admet Nicolas Charrière. Mais on a choisi de rester. Parce qu’on a des compétences ici, parce qu’on fait partie de ce territoire, et parce qu’on croit encore à l’industrie en France. »
On en déduit que survivre ne suffit pas, il faut innover !
Cent ans après sa création, Giron démontre qu’une entreprise familiale peut rester compétitive face à la concurrence mondiale. À condition d’innover en permanence, de miser sur la qualité plutôt que sur le volume, et de cultiver un savoir-faire rare.
Dans un secteur où beaucoup ont disparu ou délocalisé, Giron fait figure d’exception. Une exception qui emploie 140 personnes, produit 70 000 toiles par an, et défend un modèle industriel français exigeant.
« On ne sera jamais les moins chers, conclut Nicolas Charrière. Mais on sera toujours les plus précis, les plus fiables, les plus réactifs. C’est ça, notre force. »




